Le cœur du message de Gérald Darmanin est clair : il faut mettre fin à ce qu’il considère comme des « incohérences » dans l’exécution des peines. Il a notamment critiqué l'accumulation de peines avec sursis, affirmant que cela nuit à la lisibilité et à la crédibilité du système : « Le sursis, c'est un carton jaune. À force d’en donner plusieurs, on perd le sens de la sanction », a-t-il illustré.
Le ministre met en avant des chiffres pour appuyer sa position : entre 2018 et 2024, les peines de prison prononcées sont passées de 94 000 à 122 000, sans que les conditions carcérales ne s’améliorent, bien au contraire. Il propose donc de limiter le sursis à un seul possible, tout en maintenant la liberté d’appréciation du juge.
Réactions contrastées des acteurs de la justice
Les syndicats de magistrats, notamment l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM), ont réagi avec prudence. Si certains saluent l’idée de clarifier le recours aux peines alternatives et d’améliorer la cohérence des sanctions, d'autres regrettent que le diagnostic reste essentiellement centré sur la sanction, sans réflexion globale sur les causes profondes de la récidive ou les moyens accordés à la justice.
Le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, rappelle que le système judiciaire souffre d’un manque chronique de moyens humains et matériels. À l’inverse, l’USM, généralement plus modérée, salue l’effort de simplification, tout en demandant une concertation sérieuse.
Une demande de fermeté portée par les syndicats policiers
Du côté des syndicats de la police nationale, les propositions de Gérald Darmanin rencontrent un certain écho. Alliance Police nationale, plutôt classée droite conservatrice, et Unité SGP Police FO, classé à gauche, voient d’un bon œil la volonté de mettre fin à « l’impunité ressentie » par une partie de la population.
Ces syndicats insistent cependant sur un point : la réforme ne peut être purement symbolique. Il faut, selon eux, un accompagnement budgétaire réel, notamment pour construire de nouvelles places de prison, renforcer les services de probation et fluidifier les procédures judiciaires.
Mais c’est surtout la réaction du syndicat Alternative Police CFDT, plutôt orienté au centre, qui apporte une nuance intéressante. Moins catégorique que ses homologues, ce syndicat accueille les annonces de Darmanin avec prudence. Il indique notamment la nécessité de redonner du sens à la peine et de mieux articuler la réponse pénale. En outre, il insiste sur la question des moyens de la police judiciaire, des relations entre parquet et enquêteurs, et de la simplification des procédures.
Enfin, le syndicat demande d’aborder l’angle de la prévention, regrettant que la dimension éducative et sociale soit peu abordée dans les propositions ministérielles. Il considère que l’absence de politique de prévention renforcée est aussi génératrice de l’augmentation des délits et que rien ne se règlera si on ne s'attaque pas aux causes.
Une crise structurelle ignorée
Depuis Nicolas Sarkozy jusqu’à Éric Dupond-Moretti, en passant par Rachida Dati, Christiane Taubira ou Nicole Belloubet, les réformes de la justice ont souvent mis en avant la nécessité de renforcer l’exécution des peines et de mieux articuler sanction et réinsertion. Gérald Darmanin ne fait donc pas exception. Ce qui pose question pour de nombreux observateurs, ce n’est pas tant le contenu des propositions que leur mise en œuvre réelle dans un contexte de crise structurelle de la justice.
La réalité, c’est une justice française exsangue, avec moins de juges et de greffiers par habitant que la moyenne européenne, des tribunaux engorgés, une pénitentiaire à bout de souffle, et un taux d’exécution des peines toujours lacunaire. Aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n’a réellement investi dans les infrastructures, les ressources humaines, ou la transformation de la chaîne pénale.
En fin de compte, la stratégie de Gérald Darmanin semble moins orientée vers la réforme en profondeur que vers la communication politique. Il capitalise sur l’angoisse sécuritaire, répète les slogans, propose des ajustements cosmétiques… sans toucher aux racines du mal : le manque de moyens, la surpénalisation, la désorganisation de la chaîne pénale et l’absence de vision à long terme.